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JEAN-CLAUDE ROMAND…Comme il respire.


Le 9 janvier 1993 Jean-Claude Romand tuait tour à tour ses deux parents, sa femme et ses deux enfants. Englué dans une double vie depuis vingt ans Romand n’a pas voulu affronter la vérité. Mythomanie aiguë ou orgueil démesuré ?Deux thèses s’opposent.

«Cinq meurtres pour une double vie » titre le Nouvel Obs de l’époque. C’est simple, Jean Claude Romand abuse tout le monde. Pendant dix-huit ans, il porte le masque de l’homme respectable. Marié, deux enfants, il est « chercheur à l’O.M.S ». Il « connaît Fabius », « côtoie Kouchner » mais reste modeste. Un homme bien sous tous rapports. Le notable vit à Prévessin, au pays de Gex dans le Jura, roule en Range Rover et passe des vacances en famille, …En apparence une vie paisible.

La réalité est autre : Romand a abandonné ses études de médecine dés la deuxième année. Son argent n’est que le fruit d’escroqueries à l’encontre de ses proches. Enfin, comme tout homme « de son rang », le Dr Romand a une maîtresse à Paris. C’est ce qui va le perdre. Elle lui confie son argent, il le dépense et ne peut le rendre. Acculé, il tente de l’étrangler, liquide toute sa famille et tente de mettre fin à ses jours en brûlant sa maison. Coup manqué, Romand va vivre. L’instruction fait rapidement tomber son masque : c’est la stupéfaction. Tout l’accable. En 1999, Romand est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de vingt-deux ans.

Cette sordide histoire possède tout les atouts d’un bon pitch ! Le film « L’emploi du temps » sorti en 2001 et le livre «Le Bienfaiteur » de Philippe Homon s’en inspirent mais le livre qui va marquer les esprits c’est « l’Adversaire » d’Emmanuel Carrère. Ce best seller en 1999 sera ensuite adapté au cinéma par la réalisatrice Nicole Garcia. Aujourd’hui l’auteur ne veut plus s’exprimer sur ce sujet. Ses motivations, son travail, son analyse, tout selon lui est dans son livre : il n’a rien à ajouter. Soit. Un réalisateur, Gilles Cayatte qui avait réalisé en 1999 le documentaire « Le Romand d’un menteur » lui a accepté de nous parler. Armé du livre très bien documenté de l’écrivain Carrère et de l’œil éclairé du réalisateur Cayatte nous pouvons plonger dans l’affaire Romand.

DANS LA TETE DU MONSTRE

Dans le traitement de l’affaire Romand ni le journaliste ni l’écrivain ne sont en quête de vérité. Il est coupable. Pas de doutes. Eux veulent voir ce que le procès n ‘a pas vu. «Ce qui se passe dans sa tête durant ses journées qu’il était supposé passer au bureau. » écrit Carrère dès les premières pages de son livre. Pendant l’instruction, il décide d’écrire à Romand. Dans sa lettre, sa motivation est claire : «Ce que vous avez fait n’est pas à mes yeux le fait d’un criminel ordinaire, pas celui d’un fou non plus, mais celui d’un homme poussé à bout par des forces qui le dépassent, et ce sont ces forces terribles que je voudrais montrer à l’œuvre ».

Grâce à sa correspondance avec Romand, Carrère a la possibilité pour son travail de revenir sur les pas du tueur. « J’ai vu le hameau de son enfance », écrit-il, « le pavillon de ses parents, son studio d’étudiant à Lyon …» Emmanuel Carrère se fait accréditer par le Nouvel Obs pour suivre le procès et va même le rencontrer. Pour son livre, il s’est complètement plongé dans la tête du monstre. Romand y est décrit avec minutie. Sa jeunesse, son physique, ses craintes, ses journées à rouler sur les routes, à dormir sur les aires de repos, les faux voyages,…Mais aussi les premiers mensonges avant-coureurs et puis les excuses minables. Ainsi lorsqu’il se fait éconduire par une femme Romand s’invente un cancer pour attirer la compassion. Les petites escroqueries qui lui permettent de vivre sont également mises à jour. Il y a d’abord le soi-disant placement avantageux. Ce subterfuge lui permet d’extorquer des fonds à ses vieux parents et à sa belle-famille. Ensuite le remède miracle contre le cancer. Il les vend à 15 000 francs la gélule à la tante de sa femme.

Enfin, il y a la mort étrange de son beau-père. Le malheureux réclame avec un peu trop d’insistance une partie de l’argent « placé ». Au procès, Romand à cette réponse terrible : « Si je l’avais tué , je le dirais. On en est plus à un prés. » Là, Carrère voit la faille : « Pour l’image qu’il donne de lui et qui lui importe »,écrit-il, « ce n’est pas du tout pareil d’être le héros d’une tragédie poussé par une fatalité obscure à commettre des actes suscitant terreur et pitié et un petit escroc qui par prudence choisit ses dupes des personnes âgées et crédules, dans le cercle familial ». Démasqué.

TOUS VICTIMES DU MENSONGE

Cayatte de son coté, pour son documentaire,s’est essentiellement penché sur la réaction des proches de Romand. «Pour paraphraser une phrase de mai 68 (« on est tous des juifs allemands»NDR) explique t-il, « on est tous des victimes du mensonge. On est tous émetteurs de mensonges et tous victimes de l’émission de mensonges. Je voulais que le film reflète cela.» Le réalisateur prend le parti de ne pas vouloir rencontrer Romand. « C’est peut être un peu naïf de ma part » confie-t-il, « mais dans la mesure où je voulais raconter une histoire de mensonges, je n’allais pas voir le menteur pour me les confirmer.»Logique.

Ce choix joue en sa faveur car au départ les proches sont méfiants. Le procès avait été assez dur pour eux. D’ailleurs, Carrère évoque ce cirque médiatique dans son livre. «Tout le monde s’était foutu d’eux », se souvient Cayatte « On est pourtant dans un milieu social extrêmement éduqué. Ce sont des médecins, des fonctionnaires internationaux, des gens bardés de diplômes,…» Malgré ses bonnes intentions toute la famille Romand refuse de lui parler. C’est du coté de la famille de la femme assassinée, Florence, qu’il débusque une ouverture. Un des frères de Florence accepte de parler et permet à Cayatte d’atteindre la mère. « Au début elle était encore dans une espèce d’ectoplasme de douleur que l’on peut imaginer », se rappelle le réalisateur. « Pour elle, l’entretien a été un grand moment, une sorte de catharsis. Je crois qu’elle avait besoin de pleurer et de sortir un certain nombres de choses. »

Le film montre aussi les amis pharmaciens, agents immobiliers et le meilleur ami de Romand : un « type formidable » selon Gilles Cayatte. Fasciné, fâché, horrifié, déçu, déprimé tout au long du film, l’ami floué passe par ces différents stades. « Tout les gens qui me parlent dans le film » relate Cayatte « sont sur ce fil du rasoir. Ils racontent un mensonge qui pendant dix-huit ans pour eux a été une vérité ! Ce n’est pas le menteur qui est schizophrène : c’est le récepteur du mensonge qui le devient parce qu’il ne sait plus où il en est.»

MYTHOMANE ?

Carrère et Cayatte ou deux approches totalement différentes d’une même histoire. Néanmoins ils se rejoignent sur deux points. D’abord, « c’est un gars qui souffrait énormément » concède Cayatte. Tout au long de son livre Carrère va le montrer. Autre point commun, pour eux Romand n’est pas mythomane. Ce terme n’apparaît jamais le livre de Carrère. Lui ne voit qu’ «un homme poussé à bout par des forces qui le dépassent ».

Cayatte réfute vigoureusement ce terme : «le mythomane croit à ses mensonges. Il se construit un monde dans lequel il donne une réalité concrète, ce qui n’a jamais été le cas de Romand. Il mentait et savait qu’il mentait »,nous dit-il. « Il calculait ses mensonges au millimètre ! Il était dans la position du menteur tout le temps ! Il n’a jamais cru à ses mensonges ! Son boulot dans la vie était de bosser ses mensonges ! Il lisait pour pouvoir mentir, il s’instruisait pour pouvoir mentir. Tout son être, tout son esprit était concentré sur l’idée que ses mensonges soient crédibles. Tout son argent qu’il avait volé à sa famille était consacré à entretenir son mensonge.»

Claudine Biland, psychologue sociale est d’un autre avis. « Les mythomanes sont des gens qui ne veulent pas décevoir leurs entourages. Pour cela ils tentent de répondre exagérément à ce qu’ils pensent qu’on attend d’eux. » Pour elle, Jean Claude Romand pensait que ses parents attendaient de lui qu’il soit un brillant médecin. « Lorsqu’il a raté sa deuxième année de médecine son déclic ça a été :‘Je n’arriverais jamais à soutenir le regard déçu de mes parents.’ » Pour elle le sujet n’arrive jamais à dépasser cette déception et bascule donc dans la mythomanie.

Boris Cyrulnik, psychiatre de renommé interrogé dans le numéro du mois de septembre 2002 du magazine Psychologie partage le même diagnostic du cas Romand. « Lorsque notre famille nous a soutenu, lorsque l’on sait que l’on sera aimé par elle quelles que soient nos performances intellectuelles ou sociales, on peut se confronter au réel. (…) Si dans son enfance, le milieu de Jean-Claude Romand avait pu imprégner en lui une identité solide du genre : « Tu veux être médecin pour intégrer l’OMS, mais si tu échoues nous t’aimerons quand même et tu pourras être heureux en étant architecte », Romand aurait peut-être été reçu. Il a échoué par excès d’angoisse. »

Cayatte s’oppose à ces explications. Pour lui Romand a juste un désir de grandeur. « Il a de l’orgueil. Il n’est pas du tout mythomane, mais c’est un grand menteur. Il ment tout le temps. Lui, on peut dire qu’il ment comme il respire ! » Moins affirmatif que le journaliste, Carrère néanmoins montre l’intelligence de Romand. Ainsi il note que le tueur a laissé les psychiatres dubitatifs. « Ils avaient l’impression troublante, écrit-il, « de se trouver devant un robot privé de toute capacité de ressentir, mais programmé pour analyser des stimuli extérieurs et y ajuster ses réactions ». Troublant.

En définitif , Jean-Claude Romand est-il le monstre d’orgueil décrit par Cayatte ou l’ illuminé dépeint par l’écrivain ? A vous de juger. Plus de dix ans après, l’histoire de ce drame continue de fasciner ou d’effrayer. Hier «le docteur Romand », puis «l’assassin Romand » et aujourd’hui « le prisonnier modèle Romand» restent de parfaites énigmes. Les psychiatres qui l’ont suivi lors de son procès ont été incapables de le confondre. Les journalistes et les observateurs de l’époque sont également perplexes. Bien sûr, sa famille et les gens qui l’ont côtoyé n’en savent pas plus. Alors qui est le vrai Romand ? Le pire, c’est que même s’il nous le disait, on ne le croirait pas.

L'adversaire

« L’adversaire » de Nicole Garcia (2002)

L'aversaire de Carrère « L’adversaire d’Emmanuel Carrère (1999)

Le Roman d’un menteur (documentaire)

Réalisation : Gilles Cayatte
Scénario : Gilles Cayatte, Catherine Erhel
Image : Franck Dhelens, Olivier Raffet, Antoine Roux, Jose Antonio Sistiaga
Son : Pierre Donnadieu, Gibi
Montage : Frédéric Convert

12 réponses sur « JEAN-CLAUDE ROMAND…Comme il respire. »

Bonjour,
Où puis-je trouver le DVD du documentaire de Gilles Cayatte et Catherine Erhel « Le roman d’un menteur » ?
Merci de me répondre.
Christophe.

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Bonjour,voilà je suis un jeune apprentit qui est faciné par l’histoire de jean claude romand.Aller savoir pk?pour mes cours,je dois faire un travail personnel et j’aimerais beaucoup faire mon dossier là dessus.Le thème s’intitule « Les frontières »,je dois trouver une question principale ainsi qu’une problèmatique la dessus.J’ai vraiment besoin d’aide je ne sais pas quoi faire?merci de m’aider Gaëtan

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cette histoire me donne des frissons…en ce moment je lis l’adversaire de carrère ce livre m’a été conseiller par ma prof de langue japprécie le livre MAIS cet homme (jc) me dégoûte,mécoeure…je le déteste !

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Bonjour Cow, je crois que la quatrième de couverture (dans l’édtion folio) de Carrère est importante: raconter(la vie, les faits- mais le « jour après jour » est impossible), imaginer (les heures vides) et « comprendre, enfin, ce qui dans une expérience humaine aussi extrême m’a touché de si près et touche, je rois, chacun d’entre nous. » Ce qui m’intéresse, c’est le contexte de Romand. Par ailleurs, E. Carrère prolonge le propos de l’Adversaire dans le reste de son oeuvre: par exemple, les pages 154-156 de D’autres vies que la mienne: « je reconnais quelqu’un qui n’était pas cancéreux, qui, c’est horrible à dire, n’a pas eu cette chance, et qui s’est inventé un cancer parce qu’il savait obscurément que c’était sa vérité, parce qu’obscurément il aspirait à ce que cette vérité soit reconnue par ses cellules. Comme elle ne l’a pas été, il n’a pas eu d’autres ressources que le mensonge. Ce quelqu’un, c’est Jean-Claude Romand. J’y reconnais aussi une part de moi-même, celle qui s’est reconnue en Romand, mais moi j’ai eu de la chance, j’ai pu faire des livres de mon mal plutôt que des métastases ou des mensonges. » Comprenons-nous (?) bien: la notion de compréhension est en elle-même un biface (j’utilise à dessein un mot qui peut ressortir aussi bien au langage qu’à la paléontologie)- il y a une face intellectuelle (cognitive) et une face affective (qui nous tire du côté de la sympathie). Cette face affective nous permet d’entrer le plus possible- et il y a effectivement une limite- dans les raisons d’agir d’autrui, même un meutrier multiple de type narcissique comme Romand. En tout cas, le projet d’écriture d’E. Carrère est bien de nous donner à connaître, à imaginer et à comprendre. Pour moi, Romand est un passage à la limite à partir d’une bifurcation initiale ( la bifurcation est une autre notion capitale, d’ailleurs présente dans l’Adversaire). Très respectueusement.

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